Messieurs j'ai des autographes
De tous temps de tous pays ;
Signatures et paraphes,
Que je vends non garantis.
J'ai lettres et parchemins,
Manuscrits de toutes mains,
Je vous satisferai tous :
Demandez selon vos goûts.
Savant prince ou saltimbanque,
Courtisanes ou valets,
J'ai hors des billets de banque,
Toutes sortes de billets.
Vous verrez dans mes cartons,
Des Molière des Newtons ;
Vous verrez le Balafré,
Bobèche et Galimafré.
Car l'autographomanie
Sur tous jetant son grappin,
Place l homme de génie
Près du sot ou du coquin.
Aussi je sais bien à qui
Je réserve ce Fieschi ;
Cet auteur plat et bouffon
Se paiera plus qu un Buffon.
J'attends des bords germaniques
Par le roulage un ballot
Plein de pièces magnifiques
Que je vous vendrai par lot.
Je fais venir d Astrakan
Les papiers de Gengis-Khan,
Et du couvent du Thabor,
Un Nabuchodonosor
Enfin je suis à la piste
D'un antique papyrus,
Prouvé par un helléniste,
Autographe de Cadmus.
Je vous offre en attendant
Messieurs ce Pierre le Grand ;
Il peut braver l'examen,
Bien qu'il soit sur du Weinen.
Reconnaissez l âme ardente
Du vainqueur de Marengo
Dans cette page éloquente :
On n'en peut pas lire un mot.
Cet ordre est de Charles Neuf,
Malgré son air un peu neuf ;
Mais de ce qui fait son prix,
Combien vous serez surpris !
C'est que depuis une année
(Ici la date en fait foi)
Une fièvre cutanée
Avait emporté ce roi.
Ce billet de Pompadour
N'est pas un billet d amour.
Fi ! ce serait trop commun,
Vous n'en voudriez pas un.
Mais celui ci vous présente
Un intérêt des plus grands :
Elle y parle de la rente
Et dit qu elle a mal aux dents
Cet autographe si beau
Est du fameux Mirabeau,
Il est écrit tout entier
De la main de son portier…
Entre la Perse et la Chine
Voilà le traité de paix ;
Quoi qu'on dise j'imagine
Qu'il n'en exista jamais.
Mais moi je n ai point douté
De son authenticité
Des archives dont il sort,
On y voit le timbre encor.
Car soit dit sans vous déplaire,
On n'est point franc amateur
À moins d'être un peu faussaire
Ou légèrement voleur.
Ce que j'approuve surtout
C'est qu'on fasse argent de tout,
Qu'on vende aujourd'hui bien cher
Les cadeaux reçus d'hier.
Foin de la délicatesse !
Ma foi j'ai bien des regrets
Qu'une certaine maîtresse
M'ait fait brûler ses secrets
Grâce à son nom très-connu
Quel gain m'en fût revenu !
Notez que plusieurs amis
S'y trouvalent fort compromis
Si mon honorable père
Avait joui du carcan
J'aurais mis, ô sort prospère
Tous ses écrits à l'encan.
À cent francs le Frédéric,
À deux cents francs le Garrick,
À cinq cent francs Cotillon,
À mille écus Trestaillon.
Dans l'ardeur qui vous transporte
Dépensez comme des fous,
Mais au pauvre à votre porte,
Ne refusez pas deux sous.
Achetez aveuglément
Et profitez du moment ;
Cette noble passion
Se nourrit d'illusion.
Si le dégoût allait suivre
Et ralentir cet essor,
On vendrait au poids du cuivre
Ce qu on paye au poids de l'or.
Messieurs j'ai des autographes
De tous temps de tous pays,
Signatures et paraphes
Que je vends non garantis.